vendredi 23 janvier 2009

Le marketing "éthique" des maisons de luxe

Avant Noël, les marques de luxe ont multiplié leurs opérations caritatives en faveur des enfants défavorisés ou de la recherche médicale. Des bonnes actions qui visent aussi à humaniser ou à rectifier leur image en période de crise.
Sous l'impulsion de sa directrice de création, Frida Giannini, Gucci (groupe PPR) a créé depuis trois ans une collection exclusive, dont 25 % des ventes sont versées au profit des différents programmes de l'Unicef en Afrique subsaharienne (soins médicaux, protection des orphelins et enfants atteints du sida, assainissement de l'eau...). Cette ligne de produits - Tattoo Heart -, qui va du sac à main à broderie, en python blanc et en forme de coeur à 3 290 euros, à la simple bougie à 65 euros, sera vendue dans vingt pays jusqu'à fin janvier. Tous événements confondus, Gucci a apporté plus de 5 millions de dollars (3,5 millions d'euros) à cette organisation caritative.
De son côté, le joaillier italien Bulgari espère récolter une dizaine de millions d'euros en 2009 pour l'organisation non gouvernementale (ONG) Save the children - elle participe notamment à l'éducation des enfants dans les zones de conflit -, grâce à la commercialisation d'une petite bague en argent et la mise aux enchères de créations de haute joaillerie. Versace n'est pas en reste et aide, en Chine, la Fondation One, créée par l'acteur Jet Li, pour aider les enfants atteints de troubles psychologiques posttraumatiques. Plus discrète, la maison Hermès a initié le 20 novembre la Fête de la couleur en partenariat avec l'Unicef pour défendre les droits des enfants. Chaque année, 150 créateurs de mode participent à une grande braderie, le premier week-end de décembre, dont les fonds sont versés à l'association AIDES qui lutte contre le sida. La dernière a rapporté plus de 200 000 euros.
A l'origine de la très chic marque de vêtements pour enfants Bonpoint, Marie-France Cohen, peine à créer une fondation, baptisée Merci, pour aider les enfants de Madagascar. Grâce aux dons de couturiers - dont Yves Saint Laurent, Stella McCartney ou Paul Smith -, elle souhaite ouvrir en mars une boutique à prix raisonnables à Paris, dont tous les bénéfices iraient à la fondation. Ce qui juridiquement semble être un beau casse-tête. Les exemples de bonnes oeuvres dans le luxe sont donc légion.
SE REFAIRE UNE VIRGINITÉ
Aux yeux du sociologue Gilles Lipovetsky, "le secteur n'échappe plus à la logique de la communication. Il doit prendre en compte des problèmes sociétaux, universels, comme le développement durable ou les droits de l'homme". Cette hybridation de la frivolité et de l'éthique vient du fait que le luxe s'adresse désormais à tous, comme le montre l'omniprésence des campagnes de publicité du secteur.
"Le processus de mondialisation contraint le luxe à s'interroger sur lui-même. Longtemps, sa légitimation venait de la position sociale de ses clients. Ce n'est plus vrai : il est sorti de sa confidentialité bourgeoise", poursuit le sociologue. Selon lui, il copie les techniques marketing de la grande consommation. Les "produits-partage" qui consistent à reverser à l'Unicef 1 euro pour l'achat d'un Big Mac existent depuis des années. Ces opérations caritatives permettent au luxe de légitimer ses marques, de rectifier une image, de se refaire une virginité.
Gilles Lipovetsky rappelle qu'historiquement la culture du luxe a toujours été liée à une dimension de générosité, ou "aux cadeaux ostentatoires" des cérémonies du potlatch des Indiens d'Amérique du Nord. Longtemps, les riches devaient donner sans quoi ils perdaient leur statut. Aujourd'hui, les marques de luxe ne sont pas obligées de donner, mais elles y ont intérêt. "Donner à des oeuvres comme l'Unicef ou à la recherche pour le sida s'apparente à des opérations de marketing éthique", dit-il. Au point où l'on assiste entre les marques à une rivalité dans ce domaine, "la même qui les pousse à essayer d'avoir la tour la plus haute à Ginza, le quartier chic de Tokyo".
Elyette Roux, professeur de gestion à l'université Paul-Cézanne d'Aix-en-Provence confirme que "la culture du don et de la redistribution d'une partie des richesses aux plus démunis fait partie intégrante de la culture du luxe. Hermès, Cartier ou LVMH l'ont toujours fait. La plupart du temps de façon discrète, comme quelque chose d'inhérent à leurs valeurs. Gucci, Bulgari ou Versace s'y mettent de façon plus récente. Pour faire du marketing intelligemment ? Imiter leurs concurrents ? Avoir aussi leurs oeuvres" ? Si la crise avait pour effet de stopper ces actions, "cela montrerait qu'il ne s'agissait que de moyens conjoncturels de se donner bonne conscience", tranche-t-elle.

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